sábado, novembro 26, 2005
Un des “nôtres ”
A Tokyo, il y a trente cinq ans, le 25 novembre 1970, vers midi, l'écrivain japonais Yukio Mishima, accompagné de membres de la milice nationaliste - la Tatenokai (La Société du bouclier) – qu’il avait créé et qu’il dirigeait, pénétrait dans le QG de l'armée de terre et prenait un général en otage.
Le lieu était symbolique de l’abaissement du Japon voulu par les USA. C’était, en effet, dans bâtiment qu'avait siégé le Tribunal militaire international de Tokyo, le “Nuremberg japonais”, qui jugea, en 1946, comme des “criminels de guerre” les chefs militaires nippons.
En se manifestant ici, Yukio Mishima voulait que le lieu de l’humiliation devint le lieu de la renaissance nationale.
A 45 ans, l’écrivain, de son vrai nom Kimitake Hiraoka, était au faîte de la gloire. Il était l'auteur japonais vivant le plus connu, dramaturge, essayiste, acteur et metteur en scène, etc., il avait été cité pour le Nobel de littérature. Le jour de son sacrifice ultime, il venait juste de finir "L'Ange de la décomposition", dernier volume de sa tétralogie "La Mer de la fertilité".
Engagé politiquement dans l’aile la plus radicale et la plus traditionaliste du nationalisme japonais, Yukio Mishima dénonçait la corruption spirituelle de son pays et son inféodation aux USA.
Barricadé dans un bureau du QG de l'armée de terre, Mishima apparut à la fenêtre de celui-ci et lança un appel aux soldats rassemblés à ses pieds. Il les exhorta à se soulever pour changer la Constitution pacifiste imposée par les Américains, afin de redonner au Japon une armée digne de ce nom et de lui permettre de retrouver sa grandeur.
Son discours fut accueilli par des huées et des cris de dérision. Yukio Mishima ne s’était pas fait beaucoup d’illusions, il connaissait l’état d’esprit d’un peuple abêti par près de vingt-cinq années d’occupation militaire et spirituelle. Mais, s’il ne croyait plus guère aux masses Mishima savait que, par un acte symbolique, il pouvait réveiller les meilleurs, susciter dans leur âme l’étincelle d’un refus du désordre établi qui ne s’éteindrait jamais.
Il se donna donc la mort selon la tradition des guerriers japonais en performant un seppuku. Son compagnon de combat Masakatsu Morita abrégea son agonie et toujours selon le strict rituel en le décapitant d’un coup de sabre, avant de s’éventrer à son tour...
C’était il y a trente cinq ans.
Sa mort spectaculaire fut considérée avec embarras et réprobation par les hommes politiques, les médias et l'opinion, sur fond de Guerre du Vietnam et d'agitation gauchiste, alors qu'on craignait une résurrection du militarisme nippon.
Maintenant, nous annonce une dépêche de l’AFP, Mishima est omniprésent, avec la sortie en DVD de son court-métrage "Patriotisme" (1966), récemment retrouvé, une adaptation à gros budget de "Neige de Printemps" par le cinéaste Isao Yukisada, un "documentaire requiem", la publication d'inédits de jeunesse et de sa dernière interview (jamais diffusée), et la plus importante exposition depuis sa mort.
"Ce qu'il a fait peut paraître absurde mais beaucoup de Japonais pensent qu'il avait raison et partagent avec lui l'idée que le Japon a oublié l’esprit de la nation", affirme Toshio Toyoda, directeur des éditions Kodansha.
Mais tout cela n’est qu’effet de mode, qu’engouement sans profondeur, le Japon a sans doute récupéré une partie de son indépendance, il est sans doute plus libre vis à vis des USA, mais il est toujours aussi “ moderne ”. Comme l’ estime Toshio Toyoda un ancien étudiant gauchiste, à l'époque dans "le camp exactement opposé à Mishima" : "Si je le dis à la manière de Mishima, les Japonais sont devenus prospères et riches mais leurs esprits sont profondément corrompus. Si Mishima voyait la situation actuelle du Japon, il ne changerait pas un mot de ce qu'il disait".
Alors, mort pour rien Yukio Mishima?
Non pas, car - tant au Japon qu’en Europe – il a bien suscité dans l’âme des nôtres l’étincelle du refus du monde moderne.
Que nous ne connaissions jamais la victoire politique compte peu, en définitive, par rapport à cette victoire éthique : nous n’avons pas renoncé, nous ne nous sommes pas couché, nous n’avons pas trahi…
L’exemple de Yukio Mishima nous a permis de rester debout parmi les ruines…
Christian Bouchet
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Le lieu était symbolique de l’abaissement du Japon voulu par les USA. C’était, en effet, dans bâtiment qu'avait siégé le Tribunal militaire international de Tokyo, le “Nuremberg japonais”, qui jugea, en 1946, comme des “criminels de guerre” les chefs militaires nippons.
En se manifestant ici, Yukio Mishima voulait que le lieu de l’humiliation devint le lieu de la renaissance nationale.
A 45 ans, l’écrivain, de son vrai nom Kimitake Hiraoka, était au faîte de la gloire. Il était l'auteur japonais vivant le plus connu, dramaturge, essayiste, acteur et metteur en scène, etc., il avait été cité pour le Nobel de littérature. Le jour de son sacrifice ultime, il venait juste de finir "L'Ange de la décomposition", dernier volume de sa tétralogie "La Mer de la fertilité".
Engagé politiquement dans l’aile la plus radicale et la plus traditionaliste du nationalisme japonais, Yukio Mishima dénonçait la corruption spirituelle de son pays et son inféodation aux USA.
Barricadé dans un bureau du QG de l'armée de terre, Mishima apparut à la fenêtre de celui-ci et lança un appel aux soldats rassemblés à ses pieds. Il les exhorta à se soulever pour changer la Constitution pacifiste imposée par les Américains, afin de redonner au Japon une armée digne de ce nom et de lui permettre de retrouver sa grandeur.
Son discours fut accueilli par des huées et des cris de dérision. Yukio Mishima ne s’était pas fait beaucoup d’illusions, il connaissait l’état d’esprit d’un peuple abêti par près de vingt-cinq années d’occupation militaire et spirituelle. Mais, s’il ne croyait plus guère aux masses Mishima savait que, par un acte symbolique, il pouvait réveiller les meilleurs, susciter dans leur âme l’étincelle d’un refus du désordre établi qui ne s’éteindrait jamais.
Il se donna donc la mort selon la tradition des guerriers japonais en performant un seppuku. Son compagnon de combat Masakatsu Morita abrégea son agonie et toujours selon le strict rituel en le décapitant d’un coup de sabre, avant de s’éventrer à son tour...
C’était il y a trente cinq ans.
Sa mort spectaculaire fut considérée avec embarras et réprobation par les hommes politiques, les médias et l'opinion, sur fond de Guerre du Vietnam et d'agitation gauchiste, alors qu'on craignait une résurrection du militarisme nippon.
Maintenant, nous annonce une dépêche de l’AFP, Mishima est omniprésent, avec la sortie en DVD de son court-métrage "Patriotisme" (1966), récemment retrouvé, une adaptation à gros budget de "Neige de Printemps" par le cinéaste Isao Yukisada, un "documentaire requiem", la publication d'inédits de jeunesse et de sa dernière interview (jamais diffusée), et la plus importante exposition depuis sa mort.
"Ce qu'il a fait peut paraître absurde mais beaucoup de Japonais pensent qu'il avait raison et partagent avec lui l'idée que le Japon a oublié l’esprit de la nation", affirme Toshio Toyoda, directeur des éditions Kodansha.
Mais tout cela n’est qu’effet de mode, qu’engouement sans profondeur, le Japon a sans doute récupéré une partie de son indépendance, il est sans doute plus libre vis à vis des USA, mais il est toujours aussi “ moderne ”. Comme l’ estime Toshio Toyoda un ancien étudiant gauchiste, à l'époque dans "le camp exactement opposé à Mishima" : "Si je le dis à la manière de Mishima, les Japonais sont devenus prospères et riches mais leurs esprits sont profondément corrompus. Si Mishima voyait la situation actuelle du Japon, il ne changerait pas un mot de ce qu'il disait".
Alors, mort pour rien Yukio Mishima?
Non pas, car - tant au Japon qu’en Europe – il a bien suscité dans l’âme des nôtres l’étincelle du refus du monde moderne.
Que nous ne connaissions jamais la victoire politique compte peu, en définitive, par rapport à cette victoire éthique : nous n’avons pas renoncé, nous ne nous sommes pas couché, nous n’avons pas trahi…
L’exemple de Yukio Mishima nous a permis de rester debout parmi les ruines…
Christian Bouchet
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