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terça-feira, março 21, 2006

Knut Hamsun: une nostalgie de la simplicité 

Au lycée, les livres obligatoires ne suscitaient guère mes enthousiasmes. Mais, un jour, j'ai pu opter pour le livre d'un Norvégien, que je ne connaissais pas, pour le chef-d'œuvre de Knut Hamsun, dont j'ignorais le caractère génial: Segen der Erde (Bénédiction de la Terre). Thème: le vie d'un paysan sur des terres à dé­fricher. Je suis une jeune fille de la ville, née dans une mégapole hideuse, surpeuplée, déboisée, sans parcs ni jardins, mais, quand j'ai lu Segen der Erde, un fil d'Ariane intérieur me reliait directement à cet Isak, cet homme rustre, plongé dans la nature, très loin de la civilisation et de ses artifices. Cette beauté fascinante qui se dégageait de ce roman norvégien, cette existence intimement liée à la Terre, cette fabu­leuse simplicité qui éveillait en moi une réelle nostalgie occultée, fit de moi une lectrice enflammée de ce roman, récompensé en 1920 par un Prix Nobel, une admiratrice inconditionnelle de Knut Hamsun.
Le paysan Isak est dur, d'une dureté absolument masculine, et s'installe sur un sol de tourbe, infertile, sur une pente loin du dernier village organisé. Isak n'a pas cherché la facilité en optant pour ce terroir in­grat: “Le plus difficile a été de trouver un lieu qui n'appartienne à personne, qui n'aurait appartenu qu'à lui; et maintenant les jours de labeur allaient venir...”. C'est le travail d'une année de ce paysan défricheur que décrit le roman, de la besogne quotidienne d'un rude gaillard taiseux, bourru mais vigoureux. Segen der Erde évoque la récolte qu'offre la Terre à ce laboureur obstiné. Le rude Isak trouve rapidement une femme, Inger, travailleuse, bonne fille; elle est celle qu'il lui faut et n'a qu'un défaut: un bec de lièvre. Leur vie de défricheurs est d'abord idyllique: plaisir et travail alternent: “Aux premières lueurs du petit matin, ils se lèvent, commencent une nouvelle journée; il y avait toutes sortes de besognes pénibles, mais il y avait aussi la lutte et le joie, bref toute la vie”.
Mais la Terre est sacrée, parce que toute la famille la travail en commun, mais ce monde n'est pas “gentil”, “eudémonique”, dépourvu de conflit. Ce n'est pas une utopie rurale que Knut Hamsun a voulu nous dé­crire. Sur le sol ingrat du défricheur ne s'esbaudissent pas des enfants insouciants, il n'y a pas que des oiseaux qui chantent et pépient joyeusement, pas que des fleurs bleues comme les aimaient les roman­tiques... A Sellanra —tel est le nom qu'Isak a donné à sa terre— seul le chemin est but. L'écrivain nor­végien n'a pas voulu nous chanter la vie merveilleuse du paysan isolé, n'a pas voulu nous composer la ennième robinsonade idyllique, il n'a pas voulu nous décrire les beautés de la nature. Il campe plutôt deux antagonistes: la Wildnis originelle, la nature dans sa sauvagerie, sa rudesse, primordiales, d'une part, et les caprices, les humeurs, de l'homme, d'autre part; l'immuabilité de la nature est mise ici en équation avec la fierté altière du défricheur.
Ensuite, une tragédie: Inger tue son troisième enfant, une fille née, comme elle, avec un bec de lièvre. Superstitieuse, simple, elle croit qu'une malédiction les frappe. Un parent éloigné et malveillant renseigne les enquêteurs, le crime est découvert et Inger est condamnée à plusieurs années de travaux forcés. Isak accepte ce coup du sort avec la résignation de l'homme simple et droit, qui respecte les lois, les lois intérieures comme les lois extérieures. Pendant qu'il attend, avec ses fils, le retour de sa femme, qu'il aime toujours, il continue à travailler sa terre, agrandit sa ferme, et reste au beau milieu de cette splen­dide, mais âpre, nature du Nord, qu'il salue toujours avec crainte, respect et piété: “En hiver, il y a les étoiles et les lumières du Septentrion, un firmament en flammes, un jet de feu, là-haut, près de Dieu. Ici et là, mais pas souvent, pas habituellement, ici et là, ils percevaient un grondement de tonnerre. Surtout en automne, quand il commençait à faire plus sombre et que la nature était en fête, pour les hommes comme pour les animaux. Les animaux domestiques qui broutaient dans les prairies proches, se rassemblaient maintenant et se pressaient les uns contre les autres. A quelle loi obéissaient-ils? Attendaient-ils la Fin? Et qu'attendaient les hommes sur cette terre ingrate quand ils courbaient le chef en entendant le gronde­ment du tonnerre?”.
Quand Inger revient, elle a énormément changé; Geißler, un fonctionnaire qui a quitté son emploi, un ami mystérieux d'Isak et d'Inger, un homme apparemment de grand cœur, a découvert un filon de cuivre dans la montagne d'Isak. Le flux d'argent de l'industrie, les citadins avides de faire des affaires, des innova­tions techniques jusqu'alors inconnues dans ces zones désolées envahissent brusquement le terroir que seules les mains d'Isak avaient travaillé. D'autres colons s'installent dans les environs. Inger elle-même, en revenant chez elle, apporte un souffle du vaste monde et de la ville: elle porte des jolis vêtements, adopte des manières citadines. “Elle ne pensait ni ne méditait plus, devenait superficielle, plus légère”. Dès ce moment, la vie urbaine avec ses modernismes qui déroutent, rendent fou, avec ses négociants, ses vendeuses et ses habitants aux visages blafards devient l'antithèse de ce monde naturel archaïque, immuable, pur, de cette vie paysanne saine. Inger, la femme, entre dans des phases successives d'orgueil, d'infidélité, puis de mélancolie, d'humilité, et, parfois, de phases de profonde piété; Isak, lui, dans toutes ses fibres, reste fidèle à sa glèbe.
Les fils du couple, Eleseus et Sivert évoluent dans des directions complètement différentes. Sivert, le cadet, est paysan, le digne héritier de son père. Eleseus, lui, perd son âme, il devient un citadin. Il re­cherche fébrilement la gloire et l'argent et échoue dans ses belles illusions. Il prend la fuite, totalement déraciné, s'en va en Amérique. Mais ceux qui habitent vraiment, qui fertilisent, les terres ingrates ne per­dent jamais la tête: “...les diamants ne lui manquent pas; le vin? Il n'en a entendu parler que dans la para­bole des noces de Canah. L'habitant des terres ingrates ne se casse pas la tête pour toutes ces mer­veilles auxquelles il doit renoncer: l'art, les journaux, le luxe, la politique, n'ont de valeur que si les hommes veulent bien payer pour les obtenir. Mais elles ne valent vraiment rien de plus. La récolte, elle, doit à tout prix être faite, car elle est à l'origine de toute chose, la source de toutes choses. Comment? La vie du paysan des terres ingrates est sinistre et triste? Hamsun rit: “Hoho, mais rien de tel! Ce paysan vit avec des forces supérieures, avec ses rêves, sa vie amoureuse, ses riches superstitions”.
Et si Hamsun n'entend pas, en première instance, accuser la société, mais n'en veut qu'à quelques misé­rables créatures, il développe une critique radicale de la civilisation moderne qui menace de broyer les âmes des hommes. Les nouvelles évolutions touchent aussi les colons des terres ingrates: l'émancipation féminine progresse, même chez eux, le tourisme menace l'équilibre écologique de la ré­gion. Un autre meurtre d'enfant, commis par la fille d'un voisin, reste impuni malgré la brutalité avec la­quelle il a été perpétré: les temps ont changé. Mais, au bout du compte, la nature fait face et triomphe de ces signes de la modernité vagabonde. Les montagnes restent immuables. Semailles et récoltes se suc­cèdent. La porte-paroles de l'association pour l'émancipation des femmes, qui avait vitupéré contre le trop-plein des naissances, est dépassée par la Vie et devient une mère heureuse: «Elle avait dit: “il faut donner à la femme le droit de vote et lui accorder un droit d'influence sur son propre destin. Mais elle a finit par être prise. Oui, disait la femme du pasteur, elle a usé de son influence, ha ha ha, mais elle n'a pas échappé à son destin!».
Ce n'est pas un hasard, je pense, que ce mythe du paysan travailleur, enraciné sur sa glèbe, m'ai fasci­née, moi, enfant d'une mégapole. Ce livre, et après lui toute l'œuvre de Hamsun, ne m'ont plus lachée, de­puis le lycée. J'ai ressenti ce qui me manquait terriblement, j'ai ressenti cette lacune très présente, cen­trale: l'absence de sol, de terroir, de glèbe, cette faculté de pouvoir à tout moment recourir à de réelles racines. Segen der Erde est un livre qui émeut, profondément, quand il décrit la force de caractère iné­branlable de ce paysan Isak qui s'annoblit fondamentalement en exécutant ses tâches quotidiennes, mais c'est aussi un livre qui répond à une nostalgie presque indicible, à une nostalgie de pureté, du don de soi en toute confiance, d'un sentiment “holique” que la ville, trop rigoureusement structurée et encadrée, ne peut plus nous communiquer. Je me rappelle du discours que tient Geibler à Sivert, le fils d'Isak: «Vous voyez devant vous, chaque jour, des montagnes bleutées; ce ne sont pas des choses inventées, fabriquées, ce sont de vieilles montagnes, elles sont là depuis la nuit des temps, mais elles sont vos amies. Marchez toujours de concert avec le ciel et la terre, soyez unis à eux, soyez unis à cette immen­sité, soyez fidèles au sol. Vous n'avez nul besoin de tenir l'épée à la main, allez sans casques, sans armes à travers la vie, entourés de toute cette amitié des éléments. Voyez, elle est là, la nature, elle t'appartient, à toi et aux tiens. L'homme et la nature ne se combattent pas, ils se donnent raison, ils n'entrent pas en concurrence, ne se battent pas pour obtenir un quelconque avantage, ils vont main dans la main».
Ellen Kositza

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