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quinta-feira, maio 17, 2007

Réflexions sur l'élection présidentielle de 2007 

(Um artigo de Alain de Benoist sobre as recentes presidenciais francesas)

«Lorsque le goût des jouissances matérielles se développe chez un de ces peuples plus rapidement que les lumières et que les habitudes de la liberté, il vient un moment où les hommes sont emportés et comme hors d’eux-mêmes, à la vue de ces biens nouveaux qu’ils sont prêts à saisir […] Si, à ce moment critique, un ambitieux habile vient à s’emparer du pouvoir, il trouve que la voie à toutes les usurpations est ouverte. Qu’il veille quelque temps à ce que tous les intérêts matériels prospèrent, on le tiendra aisément quitte du reste. Qu’il garantisse surtout le bon ordre. Les hommes qui ont la passion des jouissances matérielles découvrent d’ordinaire comment les agitations de la liberté troublent le bien-être, avant que d’apercevoir comme la liberté sert à se le procurer […] Je conviendrai sans peine que la paix publique est un grand bien ; mais je ne veux pas oublier cependant que c’est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la tyrannie. Il ne s’ensuit pas assurément que les peuples doivent mépriser la paix publique; mais il ne faut pas qu’elle leur suffise. Une nation qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l’ordre est déjà esclave au fond du cœur» (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, livre II).

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Une élection atypique. L’élection présidentielle qui s’est déroulée en France les 22 avril et 6 mai 2007 ne ressemble à aucune de celles qui l’ont précédée. Elle a d’abord vu s’affronter des candidats appartenant pour l’essentiel à une nouvelle génération, mettant ainsi un terme au cycle chiraquo-mitterrandien. Elle s’est caractérisée par une participation d’une importance jamais vue depuis 1965 (83,7 % au premier tour, soit plus de 37 millions de votants, 85 % au second), celle-ci s’accompagnant d’une forte hausse des inscriptions sur les listes électorales (3,3 millions d’électeurs supplémentaires, soit 7,5 % de plus par rapport à 2002), en net contraste avec les scrutins précédents, qui témoignaient au contraire d’une forte désaffection vis-à-vis des urnes. Enfin, contrairement encore aux scrutins précédents, qui n’avaient en aucune façon affecté les partis politiques, elle a immédiatement entraîné un bouleversement du paysage politique, avec la création par François Bayrou d’un nouveau parti, le Mouvement démocrate, tandis que les résultats obtenus plongeaient quatre autres formations politiques dans la crise : le Front national, le parti socialiste, le parti communiste et les Verts.
Mais la grande nouveauté a été la généralisation au premier tour du vote utile, en contradiction avec l’adage traditionnel selon lequel « on choisit au premier tour, on élimine au second ». En 2007, un nombre considérable de Français ont choisi d’« éliminer » dès le premier tour. On a ainsi assisté aux tirs croisés d’au moins trois catégories de vote utile : vote utile de ceux qui ont voté Bayrou au seul motif qu’il paraissait mieux placé que Royal pour battre Sarkozy, vote utile de ceux qui n’ont voté Royal que pour garantir la présence de la gauche au deuxième tour, vote utile de ceux qui ont voté Sarkozy pour l’assurer de ses meilleures chances de battre tous ses concurrents le 6 mai. Ceux des électeurs de Le Pen qui, instruits (ou traumatisés) par l’expérience de 2002, ont compris qu’il n’accéderait jamais au pouvoir, ont également choisi dès le premier tour le vote utile en faveur de Sarkozy, qui disait à peu près les mêmes choses que le président du FN, mais avec une meilleure chance de les mettre en application. Bayrou, enfin, a aussi profité marginalement d’un « vote utile » de la part de cette fraction de l’ultra-gauche qui voulait empêcher Ségolène Royal d’accéder au second tour afin de provoquer une crise radicale du PS, considérée comme la condition sine qua non de la refondation/reconstruction endogène d’une « véritable » gauche. En d’autres termes, le scénario du second tour a envahi le premier.
Selon les instituts de sondage, le vote utile, le 22 avril, a été le fait de 22 % des électeurs de Bayrou, de 25 % de ceux de Sarkozy et de 37 % de ceux de Royal, ce qui revient à dire que si ces électeurs avaient voté selon leurs convictions réelles, ils auraient choisi un autre candidat. Pareillement, le second tour a été très largement un vote de rejet : le vote Royal a d’abord été un vote anti-Sarkozy, le vote Sarkozy étant lui-même souvent un vote anti-Royal. Au total, 36 % des électeurs de Sarkozy n’ont choisi de voter pour lui que parce qu’ils refusaient Ségolène Royal ; 56 % des électeurs de Royal, chiffre énorme, n’ont choisi de voter pour elle que parce qu’ils refusaient Sarkozy. On peut en conclure que l’effet de contexte de ce scrutin a principalement résulté de la crainte, et subsidiairement de l’illusion.
L’omniprésence du vote utile montre que, dans bien des cas, les électeurs n’ont pas exprimé au premier tour des choix correspondant à leurs véritables convictions, ce qui a eu pour effet de ramener les extrêmes et les candidats « marginaux » à un niveau artificiellement bas. Les votes de beaucoup de Français ont été des votes « tactiques » ou « stratégiques », des votes par défaut, non des votes d’adhésion ou de conviction. La répartition des suffrages du premier tour n’est donc en aucune manière représentative de la palette d’opinions réelle des Français.

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Un retour à la bipolarisation? Les deux principaux candidats, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, ont ensemble recueilli le 22 avril un score cumulé jamais atteint depuis 1974 : 56,9 % des voix, soit trois points de plus que Giscard et Mitterrand en 1981 ou Chirac et Mitterrand en 1988, treize points de plus que Chirac et Jospin en 1995. Ils ont aussi capitalisé 21 millions de suffrages, soit deux fois plus que Chirac et Jospin en 2002. Enfin, ils ont réuni dès le premier tour près de la moitié des électeurs inscrits (47 %) contre un tiers en 1995 et un quart seulement en 2002.
De nombreux observateurs en ont conclu que l’électorat français avait renoué avec la bipolarisation (celle-ci étant parfois confondue avec le bipartisme) et que le clivage gauche-droite a repris toute sa signification. Le fort taux de participation a pareillement suscité des commentaires euphoriques. On a parlé de « fin de l’hiver politique français » (Jacques Attali), de « régénération politique », de « fête de la démocratie ». On a cru enfin réduite la « dissidence électorale » regroupant abstentionnistes et mécontents, tenants d’un vote protestataire ou d’un vote de perturbation, dissidence dont les couches populaires étaient les principaux pourvoyeurs et qui n’avait cesser d’enfler ces dernières années, au point d’atteindre 52,4 % des inscrits aux législatives de 1997, et même 55,8 % des inscrits aux législatives de 2002. Tournant le dos à leurs «pratiques contestataires passées » (Les Echos), les électeurs qui avaient sanctionné en 2002 les grands partis de gouvernement les auraient plébiscités en 2007, le vote protestataire se serait soudainement mué en vote « républicain », la défiance envers la classe politique aurait cédé la place à une confiance retrouvée. Le « traumatisme » du non au référendum sur le projet de traité constitutionnel européen, enfin, aurait été surmonté. La bipolarisation étant posée comme synonyme de « clarté » (Laurent Joffrin), toutes ces « bonnes nouvelles » (Bernard-Henri Lévy) démontreraient la volonté des Français de « croire à nouveau à la politique ». Bref, l’ordre normal des choses serait rétabli, les extrêmes seraient en voie de disparition et l’on en reviendrait au bon vieil affrontement gauche-droite dont tout annonçait auparavant l’effacement. Tous ceux que la décomposition du système inquiétait ont donc poussé un triomphal soupir de soulagement.
Ils ont eu tort.
La forte participation s’explique d’abord, dans une certaine mesure, par la volonté de la gauche de se prémunir contre une répétition du 21 avril 2002, mais surtout par un effet générationnel, avec l’arrivée d’une nouvelle génération de candidats (les deux finalistes se présentaient pour la première fois) qui a suscité la curiosité et probablement stimulé l’idée naïve que les choses allaient peut-être pouvoir changer. La hausse du taux de participation montre que les électeurs ont provisoirement accordé à ces nouveaux candidats un crédit qu’ils ne pouvaient plus, en conscience, accorder aux anciens. Le rejet de 2002 était lié à la pauvreté de l’offre politique à l’époque du cycle chiraquo-mitterrandien. Le vote de 2007 montre seulement que les électeurs ont, à tort ou à raison, eu le sentiment que l’arrivée d’une nouvelle génération allait définitivement mettre un terme à ce cycle.
Tirer argument de cette évolution pour y voir la preuve d’une « réconciliation des Français avec la politique » serait une erreur. Le fossé qui s’est creusé pendant quinze ans entre les Français et leur classe politique était tout autre chose qu’un choix en faveur de la dépolitisation. La constitution d’une « dissidence électorale » était au contraire un fait éminemment politique. Comme l’a écrit Marcel Gauchet, « même le poids des votes extrêmes en 2002 pouvait déjà à l’époque être compris comme un refus de l’abandon de la politique » (Le Nouvel Observateur, 3 mai 2007). La dernière élection présidentielle confirme que le désir de politique reste profond dans la population française, ce qui est en soi une bonne chose.
En fin de compte, cette forte participation n’est donc pas à interpréter comme la marque d’une adhésion au système ou d’un retour de confiance dans la classe politique, mais comme l’expression massive d’inquiétudes et de peurs mobilisées contre tel ou tel candidat. Le vote utile montre que les électeurs se sont moins prononcés en fonction des programmes en compétition qu’en fonction de leurs désirs de barrer la route au candidat jugé le plus dangereux. Les idéaux, dans le meilleur des cas, ont été reformulés en fonction des considérations tactiques ou des anticipations affolées. Les militants eux-mêmes ont sélectionné, non ceux qui incarnaient leurs préférences programmatiques réelles, mais ceux qui paraissaient les mieux placés pour optimiser leur désir de victoire.
Peut-on dans ce contexte parler de bipolarisation? Certainement pas. Indépendamment même du vote utile, qui a conforté artificiellement le score des deux principaux candidats sans donner un exact reflet de l’éventail des opinions, la spectaculaire percée de Bayrou au premier tour est la preuve que l’offre politique classique se résumant à la seule alternative gauche-droite continue d’être rejetée par un nombre important de Français. François Bayrou a en effet axé toute sa campagne sur le thème de l’archaïsme (ou de la stérilité) de ce clivage et de l’absence de pluralisme réel dans les médias. Subsidiairement, il s’est affirmé aussi comme le candidat « girondin » des pouvoirs régionaux contre les élites parisiennes. Que la protestation portée par Bayrou se soit exprimée au « centre » n’enlève rien à son caractère protestataire. Les électeurs que Bayrou a su attirer, et dont les deux tiers ne proviennent pas de la clientèle traditionnelle de l’UDF, méritent à cet égard d’être ajoutés à ceux de la droite atypique et à ceux de la « gauche de la gauche », soit un total de 43,1 %, ce qui n’est pas négligeable.
L’erreur serait en fait d’interpréter la confiance retrouvée dans le processus électoral avec un regain d’adhésion aux partis politiques classiques, tels qu’ils exercent le pouvoir en France depuis cinquante ans. Ce serait oublier que les candidats du premier tour se sont tous présentés comme des « rebelles à leur camp » (Jacques Julliard) en prétendant incarner sous une forme ou une autre une «rupture » avec leur famille d’origine, qu’il s’agisse de Nicolas Sarkozy, qui a tout fait pour ne pas incarner la continuité chiraquienne et ne pas apparaître comme le « sortant » qu’il était, de Ségolène Royal, qui s’est référée le moins possible au PS et n’a cessé de subir les avanies du directoire des « éléphants » de son parti, ou de François Bayrou, qui n’a décollé véritablement dans l’opinion que lorsqu’il a commencé à dénoncer avec virulence le système bipolaire français. Il est d’ailleurs remarquable que les votes soient allés cette année, plus encore que dans les scrutins précédents, à des personnalités beaucoup plus qu’à des partis. En 2002, Chirac représentait sans état d’âme le RPR, tout comme Jospin représentait le parti socialiste et Bayrou l’UDF. En 2007, Nicolas Sarkozy, quoique contrôlant étroitement l’UMP, n’en a pas moins pris ses distances vis-à-vis des chiraquiens, Ségolène n’a jamais fait l’unanimité au sein du PS, tandis que Bayrou a dénoncé tous les partis dominants.
Ce serait également oublier que les principaux candidats ont tous tenus des discours reprenant, sous différents registres (discours sécuritaire chez Sarkozy, jurys citoyens chez Royal, dénonciation du complot médiatique chez Bayrou), des thèmes « populistes » défendus jusque là presque uniquement par les candidats « anti-système ». Plus qu’à une bipolarisation, on a assisté à la banalisation d’un discours (immigration, insécurité, référence à la nation, critique des délocalisations, mise en cause de la Banque centrale européenne, etc.) qui n’était jusque là tenu que par les extrêmes. Les candidats de gouvernement, en d’autres termes, n’ont attiré un grand nombre de voix au premier tour qu’en tenant un langage qui, auparavant, était précisément le contraire de celui des partis de gouvernement. Cette évolution vaut reconnaissance, ce dont il est évidemment trop tôt pour évaluer toutes les conséquences. Elle montre en tout cas l’erreur commise par tous ceux qui ont cru que ce scrutin avait remis en selle les forces « pro-système ». Non seulement ces forces n’ont pas retrouvé leur hégémonie idéologique, mais on peut légitimement en conclure qu’« elles ne peuvent survivre électoralement que par l’intégration d’un discours qui est en contradiction tant avec leur idéologie propre que par leurs pratiques politiques quotidiennes » (Jacques Sapir). Peuvent-elles le faire ? C’est toute la question. (Sapir ajoute d’ailleurs : « Une telle situation où des forces anti-système doivent reprendre une partie du discours des forces anti-système a toujours et partout été le signe d’une crise politique grave, et potentiellement explosive »).
Notons aussi que la bipolarisation s’est encore trouvée malmenée par le fait qu’aucun candidat n’affichait clairement la couleur sur son étiquette réelle (Sarkozy ne s’est jamais réclamé ouvertement du libéralisme, pas plus que Besancenot et Laguiller n’ont jamais parlé de trotskysme, Ségolène Royal n’évoquant elle-même que rarement le socialisme, tandis que Marie-Georges Buffet se déclarait « antilibérale » pour éviter d’avoir à se dire communiste), ainsi que par le chassé-croisé des thèmes exploités par les candidats, qui ont fait une partie de leur campagne à contre-emploi, Sarkozy se posant en héritier putatif de Blum et de Jaurès tandis que Royal se faisait la championne de Jeanne d’Arc et du drapeau tricolore. Ce qui n’a pas été sans contribuer au brouillage des repères idéologiques.
Rappelons en outre que lorsque l’on parle du clivage gauche-droite, il faut déjà savoir ce que l’on entend par chacun de ces deux termes. La droite de Sarkozy n’est pas plus celle du général de Gaulle que celle de Ségolène Royal n’est celle de Jaurès ou même de Jospin. D’autres clivages tendent d’ailleurs à se substituer au clivage droite-gauche. L’un des plus importants concerne le libéralisme considéré dans ses différentes acceptions. On peut à cet égard distinguer quatre groupes : ceux qui approuvent le libéralisme des mœurs (ou libéralisme culturel) mais refusent le libéralisme économique, ceux qui refusent le libéralisme des mœurs mais approuvent le libéralisme économique, ceux qui approuvent l’un et l’autre et ceux qui les refusent tous les deux. Le premier groupe correspond pour l’essentiel à la gauche et à l’extrême gauche classique, le second à une partie de la droite classique (aujourd’hui principalement « orléaniste »), le troisième aux « bo-bos » (bourgeois-bohèmes) et autres libéraux-libertaires, le quatrième regroupant à la fois la droite autoritaire (« bonapartiste »), les contre-révolutionnaires (« légitimistes ») et ceux que l’on appelle les « conservateurs « défiants » (classes moyennes inférieures et classe ouvrière). Comme on le verra, Nicolas Sarkozy, porte-parole du deuxième groupe, s’est principalement fait élire avec des voix prises au quatrième.
Il est donc faux, ou pour le moins imprudent, de dire que les Français ont plébiscité le système bipolaire qu’ils rejetaient encore hier. Les Français n’ont pas tant changé d’idées que de manière de les défendre. La crise du système politique est toujours bien là. Elle n’est pas moindre qu’auparavant, mais elle s’exprime différemment.

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Le projet Bayrou. Avec 18,6 % des suffrages (6,8 millions de voix), soit autant que Chirac et Balladur réunis en 1995, François Bayrou a obtenu le 22 avril 1,1 million de voix de plus que Chirac en 2002 et multiplié par trois le score qu’il avait atteint il y a cinq ans (6,8 %). Il a par ailleurs dépassé le seuil des 12,5 % d’électeurs inscrits dans 469 circonscriptions sur 577, ce qui lui permet théoriquement de se maintenir aux législatives en cas de « triangulaires ». Même s’il n’a pas été qualifié pour le second tour, ces résultats inattendus lui ont permis d’en être en grande partie l’arbitre : Sarkozy et Royal se sont disputé ses électeurs dans la dernière ligne droite. Sur sa lancée, Bayrou en a profité pour créer une nouvelle formation, le Mouvement démocrate, dont il souhaite de toute évidence faire un parti « central » s’appuyant alternativement sur la gauche ou sur la droite afin de jouer dans la vie politique un rôle de charnière à la façon du FDP allemand ou des libéraux-démocrates anglais.
Bayrou, dont il est important de souligner qu’il a défendu durant sa campagne, non pas une position « ni droite ni gauche », qui ne veut pas dire grand chose, mais une position « et droite et gauche », apparemment plus constructive, aura sans doute du mal, au moins dans un premier temps, à convertir en un mouvement de masse le vote hétérogène et volatil, composé à parts à peu près égales d’électeurs venus de la droite et de la gauche, qu’il a rassemblé le 22 avril – d’autant plus que les conditions du « vote utile » dont il a bénéficié ont déjà disparu. Ses chances de mener à bien son projet dépendent en fait en grande partie de l’évolution du PS.
Aujourd’hui confrontés à une crise profonde, les socialistes ne peuvent que constater que la stratégie d’« union de la gauche » élaborée par François Mitterrand au congrès d’Epinay (1971) est aujourd’hui devenue impraticable faute de partenaires. L’interlocuteur principal de la gauche de gouvernement doit dès lors être trouvé ailleurs, ce qui renforce chez certains socialistes l’idée qu’ils ne pourront revenir au pouvoir qu’avec l’appoint des centristes. Plus précisément, le PS va devoir choisir dans les mois qui viennent entre s’allier avec le centre, ou du moins rechercher de « nouvelles convergences » avec lui (Royal, Dray, Rocard), se transformer par « réalisme » en un parti ouvertement social-démocrate aligné sur ses homologues européens (Strauss-Kahn) ou adopter une ligne « de gauche » (Fabius, Mélenchon) consistant par exemple à créer un « parti progressiste » sur le modèle du parti fondé en Allemagne, à la gauche du SPD, par Oskar Lafontaine. Ce choix, qui s’annonce douloureux, ne se fera pas du jour au lendemain. Il n’est pas exclu qu’il se traduise par une scission. François Bayrou, qui mise sur l’idée que le PS n’arrivera pas à se rénover et que Sarkozy ne parviendra pas à redresser le pays, a de toute façon plus à gagner en se tournant vers sa gauche qu’en négociant avec la droite. Cela ne crédibilise toutefois pas son projet, dans la mesure où un grand parti « démocrate » à l’américaine, regroupant centristes, démocrates-chrétiens et une sociale-démocratie amputée de son aile gauche aboutirait, non pas à mettre un terme à la bipolarisation, mais au contraire à en créer une nouvelle.
L’aspect le plus positif du projet de Bayrou tient dans la remise en cause du clivage gauche-droite. Son aspect le plus négatif réside dans l’idée sous-jacente à la façon dont s’opère cette remise en cause, en l’occurrence la vieille et très utopique idée centriste que l’on doit (et que l’on peut) éliminer la dimension conflictuelle de la vie politique. Cette idée traduit une incompréhension quasiment anthropologique de ce qu’est le polymorphisme de la nature humaine en général, et le politique en particulier. (Le grand mérite de la démocratie, en effet, n’est pas de supprimer l’omniprésente violence sociale et politique, mais de la canaliser, de la ritualiser ou de la sublimer, de l’empêcher de monter aux extrêmes, bref de la mettre en forme par tout un travail institutionnel et civilisationnel permettant de la rendre supportable tout en lui interdisant de dégénérer en guerre. La politique n’est pas la guerre, et si la guerre en constitue le prolongement par d’autres moyens qui lui sont spécifiques, c’est toujours en vue de parvenir à la paix – une paix toujours grosse de tensions porteuses d’une conflictualité nouvelle). Dans cette optique, la « réconciliation » des deux blocs, sorte d’« eucharistie laïque » (Frédéric Lordon), est assimilée à la suspension des clivages sociaux et des luttes qu’elles entraînent. Au risque, bien entendu, de se voir confronté en retour à l’éclatement d’un formidable refoulé.

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La victoire de Sarkozy. Nicolas Sarkozy a recueilli 31,1 % des voix au premier tour, soit 11 % et six millions de voix de plus que Chirac en 2002 (19,8 %) et presque autant que Giscard en 1974 (32,6 %), et 53 % des voix au second, presque autant que Mitterrand en 1988 (54 %) ou de Gaulle en 1965 (55,2 %). Il remporte donc une victoire incontestable. Grâce au vote utile, Ségolène Royal a pu obtenir au premier tour trois points de plus que Jospin, Taubira et Chevènement n’avaient ensemble recueilli de voix en 2002 (et plus que Chirac n’en avait obtenu contre Mitterrand en 1988), mais avec comme conséquence d’assécher presque totalement ses réserves de voix de gauche pour le second tour. Dans un pays où l’ensemble des partis de gauche ne représentent plus que 36 % des voix, la candidate socialiste ne pouvait espérer s’imposer qu’en attirant à elle les suffrages qui s’étaient portées au premier tour sur François Bayrou, voire sur Jean-Marie Le Pen. Le 6 mai, 63 % des lepénistes et 45 % des électeurs de Bayrou lui ont préféré Sarkozy.
Une élection présidentielle n’est cependant pas seulement une affaire d’arithmétique. La valeur ajoutée tient à la personnalité des candidats et à l’appui que leur apporte leur camp. Or, tandis que Sarkozy avait su au préalable conquérir méthodiquement l’appareil de l’UMP, Ségolène Royal a été retenue comme candidate au PS sur la seule foi de ses sondages de popularité, sans s’être emparée de la direction de son parti (contrairement à Mitterrand ou Jospin dans le passé) ni avoir vraiment participé à ses débats internes. Au terme d’une campagne impressionniste marquée par des approximations constantes et des cafouillages dus à des tiraillements avec les caciques du PS – tiraillements sans doute encore aggravés par ses problèmes de couple –, elle est plus apparue comme un challenger original disposant d’un catalogue de bonnes intentions fluctuantes que comme une présidentiable crédible, porteuse d’un véritable projet. Elle a mené, dans le style maternel, « le combat d’un amateur séduisant face à un professionnel implacable » (Alain Duhamel). Surtout, en se déplaçant à son tour sur le registre identitaire, elle s’est largement laissé imposer la thématique de son adversaire, alors que Sarkozy a su utiliser sa position d’adversaire central pour organiser toute la compétition autour de lui.
Géographiquement, la coupure Nord/Est contre Sud/Ouest est confirmée : c’est dans les régions industrielles les plus concentrées que la droite obtient désormais ses meilleurs résultats. Sarkozy recueille paradoxalement son meilleur score dans les zones les plus traditionnellement égalitaires de l’espace français : la façade méditerranéenne et le bassin parisien. Le vote conformiste continue à se concentrer dans les grandes « villes centres », majoritairement habitées par des cadres supérieurs à l’activité reliée à l’économie-monde, le vote protestataire restant plus marqué dans les périphéries ou les franges périurbaines, voire les arrière-pays avec leurs extensions rurales. (En 2005, la géographie du « non » au référendum recouvrait exactement celle des zones périurbaines). On constate par ailleurs les premiers effets du vieillissement de la pyramide des âges : Sarkozy réalise tout naturellement ses scores les plus élevées auprès des personnes âgées qui, parvenues à l’âge de la retraite, s’effraient volontiers de tout et de rien (61 % chez les 61-69 ans, 68 % chez les plus de 70 ans). Enfin, la présence au second tour d’une femme qui n’a cessé de mettre en avant sa féminité-maternité a abouti à un choix symboliquement sexué : les électeurs français ont finalement préféré le tryptique « masculin » de Nicolas Sarkozy : « travail – autorité – mérite » au tryptique « maternel » de Ségolène Royal : « justice – compassion – respect ».
Au départ, Sarkozy était avant tout le candidat du patronat, de la grande bourgeoisie, du complexe militaro-industriel français (qui contrôle désormais l’essentiel du système des médias) et des néoconservateurs américains. George W. Bush a d’ailleurs été le premier chef de l’Etat à féliciter celui qui, à peine élu, a tenu à « lancer un appel à nos amis américains pour leur dire qu’ils peuvent compter sur notre amitié » (on n’avait encore jamais vu un nouveau président saluant avec chaleur un autre peuple que celui qui l’a élu). Ses commanditaires, ceux-là mêmes auxquels il est allé rendre des comptes au « Fouquet’s » le soir de son élection, attendent maintenant un retour sur investissement. En clair : qu’il mette un terme à l’« exception française », sur le double plan du système social et d’une politique étrangère qui n’avait avant lui jamais totalement rompu avec la tradition gaullienne d’indépendance.
Bien entendu, ce n’est pas avec ce seul soutien que Sarkozy aurait pu l’emporter. Il l’a emporté en ralliant à lui une partie des classes populaires et en « kidnappant » à son profit une large part du vote lepéniste. François Mitterrand avait très bien compris en 1981 que s’allier au parti communiste était le meilleur moyen de créer les conditions de son déclin historique. Sarkozy a, lui aussi, très bien compris que le meilleur moyen d’affaiblir le FN n’était pas de s’y opposer frontalement, mais de reprendre pour son compte l’essentiel de son discours. C’est ce qu’il a fait au cours de sa campagne, en ne reculant devant aucun mot ni aucun geste lui permettant de séduire l’électorat frontiste. Stratégie payante qui montre, une fois de plus, que la droite classique est toujours mieux placée que la gauche ou l’extrême gauche pour enrayer la montée de la droite radicale. Historiquement parlant, en effet, la droite dure n’a jamais été battue par la gauche, mais toujours par une droite modérée plus habile à capter son héritage. Elle n’a jamais été affaiblie par le cordon sanitaire, mais par l’embrassade qui tue. Si la droite chiraquienne l’avait compris plus tôt, le FN aurait disparu depuis longtemps.
Ayant pris la pleine mesure de ce phénomène nouveau qu’est la logique (et la crainte) du déclassement social (68 % des employés pensent aujourd’hui qu’« il faudrait donner plus de liberté aux entreprises », 66 % que « les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient »), Nicolas Sarkozy a dès le premier tour raflé dans l’électorat de Le Pen les deux tiers des petits artisans et commerçants, des employés, des travailleurs indépendants et des couches inférieures de la petite bourgeoisie salariée, public au profil autoritaire, hostile au libéralisme des mœurs, mais favorable au libéralisme économique – celui qui conjugue traditionnellement goût du profit et crispations xénophobes. C’est le ralliement de cette droite autoritaire, en attente d’une remise en ordre, qui lui a permis de franchir au premier tour la barre des 30 % et d’être élu au second.
Sarkozy a été élu parce qu’il a parfaitement su coaguler le vote de la grande bourgeoisie et celui des petits commerçants et d’une partie des classes moyennes. Il y est parvenu, profitant de la droitisation générale de la société, en faisant usage d’un discours sécuritaire directement emprunté au Front national, en n’hésitant pas à réinsérer ouvertement les « sujets qui fâchent » (immigration et identité nationale) dans l’espace public, en promettant des baisses d’impôt et en multipliant les références à la nation pour répondre à la crise identitaire que connaît le pays. Parlant avec lyrisme de la France comme d’une banque qui lui aurait offert un découvert illimité, devenu provisoirement, grâce à son parolier, Henri Guaino, le chantre de l’identité française après être allé à Washington dire combien il aimait qu’on l’appelle « Sarko l’Américain », il est même allé jusqu’à célébrer l’alliance du sol et du sang : « Nul ne peut comprendre l’attachement charnel de tant de Français à la terre de France s’il ne se souvient pas que coule dans leurs veines du sang paysan voué pendant des siècles à féconder le sol français » (28 mars) ! L’effet cathartique qui en a résulté lui a permis de s’imposer comme le premier candidat d’une droite « décomplexée » élu depuis trente ans sans avoir à faire de concessions à la gauche et ni à mendier les voix du centre.
Candidat d’une droite affranchie du surmoi de gauche qui l’inhibait auparavant, appuyé par une énorme machine de guerre et de marketing, Sarkozy a fait campagne sur la valeur travail, en promettant à « la France qui se lève tôt » de favoriser ceux qui veulent « travailler plus pour gagner plus » – étant entendu que ceux qui n’ont pas pour but essentiel dans la vie de toujours « gagner plus » pourront être légitimement suspectés de paresse ou de fraude et laissés sur le bord du chemin. Aux classes moyennes, victimes à la fois de l’insécurité et de la rapacité du capital mondialisé, de la violence des banlieues et de la tyrannie du CAC 40, il a fait croire qu’il rétablirait l’ordre en luttant contre l’« assistanat » et en favorisant la « flexibilité ». Il annonçait en réalité l’instauration d’une société plus compétitive, plus dure, plus anxiogène, où la priorité sera donnée à l’efficacité et à la rentabilité sans considération des coûts sociaux. C’est le principe même de la « méritocratie » à l’américaine.
Tandis que la bourgeoisie libérale proche du capitalisme financier se reconnaissait d’instinct dans le projet de Nicolas Sarkozy (qui a a remporté dès le premier tour 64 % des suffrages dans le 16e arrondissement de Paris et 72,6 % à Neuilly), la petite et moyenne bourgeoisie autoritaire a vu en Sarkozy un Le Pen éligible – un candidat plus jeune que Le Pen, plus présentable et mieux en mesure d’appliquer son programme. C’est ainsi que Sarkozy a réussi à agréger deux électorats différents et aux intérêts matériels divergents, réussissant le prodige de séduire à la fois la droite sécuritaire et les cadres supérieurs gavés aux stock-options, les tenants de l’ordre moral et les night-clubbers de la jet society, ceux qui profitent de la mondialisation et ceux qui en sont les victimes, ceux qui se « lèvent tôt » et ceux qui se couchent au petit matin, le monde du travail et celui de Star Academy, les patrons du CAC 40 adeptes du darwinisme social et les classes moyennes inférieures porteuses d’une revendication individualiste-égalitaire qui se concilie très bien avec le culte du chef et le désir d’ordre et d’autorité. Un exploit qui se laisse à bien des égards comparer au vote Bush aux Etats-Unis.
«Après Chirac, disait Mitterrand, n’importe qui pourra être président de la République». Sarkozy diffère profondément de Chirac, à qui on l’a parfois comparé. Il s’apparente plutôt à Silvio Berlusconi, le charme latin en moins. On le représente généralement comme un hyperactif, voire un excité, fort avec les faible et faible avec les puissants, qui n’a visiblement retenu du bonapartisme que le caractère autoritaire. Avec sa tendance à créer des problèmes là où il affirme les avoir résolus, c’est apparemment un homme que rien n’arrête, surtout pas les scrupules. « Plus que la loyauté, il y a l’efficacité », lançait-il à ses proches amis huit jours après avoir été élu. C’est un national-libéral. Le national-libéralisme, c’est le libéralisme pour les riches et le national pour les autres. Son quinquennat verra le renforcement de la tutelle autoritaire de l’Etat sur les existences quotidiennes, la privatisation des dépenses publiques et le laminage des acquis sociaux sous le couvert de l’appel à la nation. Sarkozy incarne une droite politiquement autoritaire et économiquement libérale qui n’hésitera pas à adopter une stratégie de la violence raisonnée avec le concours de l’appareil d’Etat. Cette droite libérale-sécuritaire conçoit la société uniquement comme un foyer de compétitions, soumis de part en part à la logique de la performance économique sur fond de marchandisation du monde. C’est une droite qui prône sans états d’âme l’individualisation des solutions. Une droite favorable au capitalisme qui ne parvient pas à comprendre que c’est le capitalisme qui détruit le plus les valeurs de droite. Une droite qui a toujours voulu faire l’économie d’une réflexion sur les conditions du vivre-ensemble dans un monde commun. Une droite qui annonce l’ère du chacun pour soi. C’est l’égoïsme comme valeur qui a triomphé le 6 mai.
Commentant l’élection présidentielle de 2002, j’écrivais il y a cinq ans, à propos du « libéral-populisme », qu’il « associe paradoxalement ultralibéralisme, individualisme consumériste, darwinisme social et xénophobie. Même si d’un point de vue strictement intellectuel, une tel composé politique peut surprendre, il y a tout lieu de s’attendre à son extension en Europe, car il est à bien des égards en prise directe avec la réalité du moment. On peut se demander si le libéral-populisme ne sera pas demain l’un des principaux vecteurs de l’idéologie de la marchandise et de la Forme-Capital » (C’est-à-dire, vol. 2, p. 30). C’est très exactement ce qui s’est produit.

5
La défaite du Front national. Avec 3,8 millions de voix et à peine plus de 10 % des suffrages, contre 4,8 millions et près de 17 % des voix le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen, que les sondages avaient crédité de 14 % durant la campagne, est sans conteste le grand perdant du premier tour. Alors que l’élection présidentielle a toujours été pour lui le scrutin le plus favorable, ce score le fait revenir vingt ans en arrière, puis qu’il avait encore obtenu 14,3 % des voix en 1988 (15 % en 1995, 16,8 % en 2002). Le Pen retombe en fait au niveau des européennes de 1984, début de son ascension politique. Perdant près d’un million de voix par rapport à 2002 (et même plus d’un million et demi si l’on prend en compte le score obtenu il y a cinq ans par Bruno Mégret), il enregistre ses plus grosses pertes en Alsace, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon, c’est-à-dire là où son électorat était le plus droitier. A Marseille, notamment, il connaît un effondrement spectaculaire. Il chute également de 13 points dans les Alpes-Maritimes, département où Sarkozy obtient au contraire son meilleur score : 43,5 %, soit 21 points de plus que Chirac en 2002. A Clichy-sous-Bois, principal théâtre des émeutes urbaines de l’automne 2006, il ne recueille que 9,2 % des voix, contre 19 % en 2002 et… 24,5 % à Nicolas Sarkozy.
Il est aisé de savoir au profit de qui le FN a perdu. La carte des déperditions de voix qu’il a subies se superpose exactement, surtout dans le Sud de la France, à celle des gains enregistrés par Sarkozy. Dès le premier tour, celui-ci a su ramener vers lui 28 % des électeurs lepénistes de 2002. Au second, il a obtenu le suffrage de 63 % du vote Le Pen du 22 avril. Ces chiffres permettent de mesurer l’ampleur de la captation de suffrages opérée. Le FN a littéralement été dépouillé, tondu, par Sarkozy.
Au sein du FN, cette défaite a immédiatement relancé les critiques qu’une coalition de nostalgiques, de rétrogrades et d’aigris multipliaient depuis déjà quelque temps contre la nouvelle ligne politique du mouvement (discours de Valmy, discours de Lille, discours d’Argenteuil). En adressant des signes répétés aux Français issus de l’immigration, en considérant la jeunesse des banlieues comme le « révélateur de tous les mensonges de notre sociale-démocratie » (Alain Soral), en adoptant un langage de type « ouvriériste », Le Pen aurait « déstabilisé » son électorat naturel. La critique s’est concentrée contre Marine Le Pen, directrice stratégique de la campagne de son père, accusée de vouloir surtout plaire «à ceux qui ne votent pas Front national», de privilégier la séduction des médias, de rendre le discours de son père « acceptable » au risque de le « banaliser ». L’écrivain Alain Soral, ancien communiste rallié au FN, aurait de son côté dangereusement « gauchi » le langage du Front. C’est cette nouvelle stratégie qui se serait révélée « fatale ».
La « nouvelle ligne » du FN n’a pourtant été qu’ébauchée. Elle n’a pas échappé aux mirages du jacobinisme « national-républicain » (Marine Le Pen s’est déclarée « hostile au principe même de l’Europe des régions »), pas plus qu’elle n’a été capable d’analyser la situation actuelle du capitalisme ou de prendre position sur la question du type de rapport social qu’il faudrait lui substituer. Mais elle s’est manifestée par une tonalité incontestablement inédite. Nicolas Gauthier est allé jusqu’à écrire dans le journal du Front : « L’intérêt historique du néoprolétariat issu de l’immigration serait de s’allier avec le prolétariat franco-français […] afin de faire bloc contre un néocapitalisme mondialisé […] Très naturellement, la jonction devrait s’opérer un jour ou l’autre entre saines valeurs populaires et aristocratiques – ce sont souvent les mêmes – et le substrat culturel de nos voisins d’outre-Méditerranée, unis contre une société dans laquelle l’homme est devenu une marchandise comme les autres » (National-Hebdo, 18 janvier 2007). Le FN a-t-il eu tort d’adopter ces positions ? Je pense pour ma part qu’il a surtout eu le tort de ne pas les adopter plus tôt, ce qui aurait limité ses pertes.
La défaite de Le Pen ne s’explique nullement par l’adoption d’une ligne nouvelle, antixénophobe et résolument « ouvriériste », qui aurait désarçonné ou démobilisé le cœur de son électorat. Elle s’explique par une seule raison : la bourgeoisie a quitté le Front. Ayant trouvé en Sarkozy un représentant plus jeune et plus crédible d’une « droite décomplexée », la petite et moyenne bourgeoisie a tout naturellement changé de monture. Le Pen s’est souvent dit convaincu que la « lepénisation des esprits » lui ferait marquer des points, parce que les électeurs préfèreraient toujours « l’original à la copie ». C’est l’inverse qui s’est passé. Si Le Pen avait lu Baudrillard, il aurait su que de nos jours les copies ont un pouvoir de séduction beaucoup plus grand que les originaux. Le seul résultat de la « lepénisation des esprits » a été que le FN s’est fait laminer par un candidat qui a fait campagne sur ses propres thèmes et les a retournés contre lui. A la limite, une fois les esprits « lepénisés », Le Pen ne servait plus à rien.
La grande erreur de Le Pen a été de ne pas dénoncer d’entrée de jeu Sarkozy comme son adversaire principal. Une autre erreur a été de croire que, parce qu’il avait été présent au second tour en 2002, il pourrait l’être encore en 2007 (cas de figure qui, d’ailleurs, aurait eu pour seul effet de garantir à son adversaire la certitude d’être élu), ses chances d’y accéder étant même accrues par la montée de l’insécurité et par la relative dédiabolisation de son image dans les médias. C’était faire bon marché du facteur Sarkozy. Or, au lieu de voir en Sarkozy une menace, le FN a d’abord commencé par se flatter de sa capacité d’« ouverture », par se réjouir qu’il ne manifeste pas à son endroit la même hostilité de principe que Jacques Chirac, en allant jusqu’à laisser entendre que des ententes avec l’UMP étaient désormais possibles. Vis-à-vis du candidat de l’UMP, Le Pen a été tour à tour caressant et insultant, sans avoir jamais arrêté une ligne claire. Persuadé que son fonds de commerce était inattaquable, il s’est félicité de la « lepénisation des esprits » sans voir que celle-ci ne bénéficierait qu’à celui qui s’apprêtait à plumer son électorat. Quand il a commencé à dénoncer Sarkozy comme l’« emblème de la racaille politicienne » (15 avril), il était trop tard. L’accuser d’être « au service d’Angela Merkel » ou le disputer sur ses origines hongroises était en outre plus que maladroit. C’était une réaction de dépit.
La consigne d’« abstention massive » donnée par Le Pen pour le second tour favorisait elle-même arithmétiquement Sarkozy. Elle n’a d’ailleurs pas été suivie par 80 % de ses adhérents. En 1988, 19 % des électeurs lepénistes avaient voté Mitterrand au second tour. Ils n’ont été cette année que 12 % à voter pour Ségolène Royal qui, contrairement à Sarkozy, s’était pourtant engagée à instaurer une part de proportionnelle aux élections législatives.
Le FN s’est bâti en attirant à lui des déçus de droite et des déçus de gauche. Révélateur est le fait que ce sont les déçus de gauche qui lui sont restés le plus fidèles. C’est en effet dans les zones industrielles du Nord et de l’Est, où les ouvriers sont encore nombreux, que le FN a fait ses meilleurs scores ou enregistré ses moindres pertes. Tandis que ses électeurs de Versailles et du 16e arrondissement de Paris passaient avec armes et bagages chez Sarkozy, le président du FN a recueilli 14,6 % des voix dans le Nord-Pas-de-Calais (où il progresse même de 5000 voix par rapport à 2002), 15,2 % en Champagne-Ardennes, 15,4 % en Picardie. Avec 24 % du vote ouvrier, selon certains instituts de sondage, contre 7 % à Besancenot, 3 % à Laguiller et 1 % à Buffet (seulement 11 % des ouvriers avaient voté Jospin en 2002), Le Pen semble rester le leader politique le plus populaire dans cette catégorie professionnelle. Fait non moins significatif : la seule région méridionale où le FN a résisté à l’érosion est la Corse (15,2 % contre voix contre 15,6 % en 2002), qui est aussi la seule où le mouvement de Jean-Marie Le Pen, renonçant à son jacobinisme habituel, n’a pas hésité à jouer de la fibre identitaire locale en plaidant pour « les droits des Corses d’abord sur leur terre ». En Alsace, au contraire, où le FN s’est déclaré hostile au régionalisme et à l’enseignement des langues régionales, le vote Le Pen a chuté de plus de 10 points entre 2002 et 2007.
En juillet-août 2006, Jean-Marie Le Pen confiait au Choc du mois avoir toute sa vie durant « traîné l’extrême droite comme un véritable boulet ». Que ne l’a-t-il dit plus tôt ! Le Front national paraît avoir mis du temps à comprendre que la culture de ses électeurs n’était pas forcément la même que celle de ses militants. Sa défaite du 22 avril pourrait très bien précipiter en son sein une crise qui se serait ouverte de toute façon dans l’après-Le Pen. Là aussi, à terme, une scission n’est pas à exclure. Dans l’immédiat, l’avenir du FN dépendra de sa capacité à comprendre que son « électorat naturel » n’est pas le peuple de droite, mais le peuple d’en-bas. L’alternative n’est pas pour lui de s’enfermer dans le bunker des « purs et durs » ou, au contraire, de chercher à se «banaliser» ou à se «dédiaboliser» (le fait d’être diabolisé n’a pas empêché Sarkozy d’être élu, mais lui a au contraire valu des voix supplémentaires) tout en adoptant, d’élection en élection, la tactique du hamster qui tourne sans cesse dans sa roue tout en restant sur place. L’alternative à laquelle il se trouve confronté aujourd’hui de manière aiguë est toujours la même : vouloir encore incarner la « droite de la droite » ou se radicaliser dans la défense des couches populaires pour représenter le peuple de France dans sa diversité. Rien n’indique pour l’instant qu’il choisira la deuxième solution. Il reste au FN à apprendre comment devenir une force de transformation sociale dans laquelle puissent se reconnaître des couches populaires au statut social et professionnel précaire et au capital culturel inexistant, pour ne rien dire de ceux qui ne votent plus (entre 2002 et 2007, l’abstention est passée de 20 à 31 % en milieu ouvrier). Rien n’indique, là non plus, qu’il en ait la capacité ni même la volonté.

6
Quelle alternative? La campagne électorale a plus que jamais ressemblé à un concours de beauté. La pauvreté de son contenu a été stigmatisée par bien des observateurs, d’Emmanuel Todd à Régis Debray. La politique internationale n’a presque pas été abordée, pas plus que les politiques macro-économiques. Le problème de la dette n’a été agité que pour légitimer la réduction des activités publiques et justifier qu’on les confie au privé. On n’a parlé ni de l’Afghanistan ni de la Côte d’Ivoire, où sont pourtant engagés des soldats français, ni de la guerre en Irak, ni de géopolitique, ni de la perspective d’un monde « multipolaire », ni du nécessaire protectionnisme européen. Pas un seul candidat n’a clairement fait savoir ce que serait son attitude en cas d’attaque militaire américaine (ou israélienne) contre l’Iran. Les problèmes évoqués pendant la campagne ont été ceux d’une France extraite de ses contextes, isolée du monde extérieur dont elle dépend. Seuls ont été traités les sujets portés par le maximum de bruit médiatique, les attentes sociales étant elles-mêmes réduites à la formulation qu’en donnaient les instituts de sondages.
Jamais comme durant cette campagne on n’avait assisté à une telle mise en scène de soi par des candidats « coachés » par leurs appareils spécialisés dans le marketing médiatique. Jamais les images et les affects ne l’avaient aussi visiblement emporté sur les programmes et les idées. Jamais le « moi je » n’avait autant surclassé le «nous on», tant chez les candidats que chez les électeurs, avec comme conséquence une psychologisation sans précédent de la vie politique et une totale perte de vue des problèmes relatifs au monde commun. Les « valeurs », terme au sens indéfini, au contenu purement émotif et moral, ont remplacé les idées, qui font appel à la réflexion critique.
Tous les grandes questions nationales et internationales sont passées au second plan par rapport aux problèmes catégoriels et subjectifs. Dans les débats, les questions posées aux candidats ne portaient pratiquement jamais sur leur projet général, mais sur ce qu’ils allaient pouvoir faire pour résoudre les problèmes d’existence spécifiques des questionneurs. La plupart des électeurs ont ainsi montré qu’ils adoptaient, face aux échéances électorales, non pas une logique politique de citoyenneté, mais une logique économique de consommation (le vote comme transaction entre un vendeur et un consommateur), consistant à rechercher ou attendre la satisfaction d’un désir subjectif au lieu de s’abstraire de leur cas individuel et de leurs problèmes personnels pour considérer l’intérêt général. Le souci du général, du collectif ou du commun étant absent, on ne savait plus très bien s’il s’agissait d’élire un président de la République ou de désigner le responsable d’un bureau d’aide sociale. La politique, perdant toute dimension symbolique, cessait d’être le lieu du collectif pour se ramener à une confrontation de désirs individuels ou d’intérêts négociables dans un espace public largement privatisé (ce qui équivaut à une dépolitisation de fait).
De l’extrême gauche et à l’extrême droite – à la seule possible exception de José Bové –, aucun candidat ne proposait bien entendu de changer de société. Les élections, depuis longtemps déjà, consacrent des alternances, non des alternatives. A cet égard, la défaite de la gauche a été plus impressionnante encore que la victoire de la droite, qu’elle a évidemment amplifiée. Avec 36,1 % des voix toutes tendances confondues, contre 42,8 % en 2002, la gauche, en pleine crise d’identité depuis au moins vingt ans, se situe aujourd’hui à un plancher historique jamais atteint depuis 1969.
Après trois échecs successifs à la présidentielle, le PS, devenu un parti de notables à sa base et de hauts fonctionnaires à son sommet, se retrouve confronté à un programme archaïque et un système d’alliance dépassé. Déjà déstructuré et divisé depuis la consultation interne de ses adhérents en décembre 2004, puis lors du vote au référendum du 29 mai 2005, ayant au surplus enregistré un échec électoral retentissant en avril 2002, il n’a rien fait depuis pour surmonter ces divisions. Il se retrouve donc maintenant au pied du mur. Quant au parti communiste, qui représentait encore plus de 20 % des électeurs au début des années 1970 et avait encore recueilli 15,3 % des voix à la présidentielle de 1981, avec moins de 2 % des voix, il s’est transformé en fantôme. Battu un peu partout par les trotskystes, il est même surclassé par le FN dans des communes du Val-de-Marne comme Villejuif ou Vitry, considérées hier encore comme ses bastions, et ne doit de conserver quelques milliers d’élus locaux qu’à une stratégie d’alliance avec les socialistes, dont on ne voit mal pourquoi le PS continuerait d’y souscrire.
Les maladresses de Ségolène Royal ne traduisaient pas seulement ses limites personnelles, mais aussi celles d’une famille politique qui n’a plus à proposer que de poser un sparadrap social sur la tumeur libérale, et qui ne parle de justice qu’en termes de morale parce qu’elle n’est plus capable d’en donner une définition en termes politiques. La gauche française n’a plus de projet politique autonome depuis 1983. Depuis cette date, elle fait la même politique que la droite, mais en traînant les pieds, prônant une solidarité sociale qui ne peut s’exercer que dans des structures organiques qu’elle s’est elle-même employée à détruire méthodiquement, en même temps que le capitalisme libéral détruisait les valeurs traditionnelles. Championne de la « société juste », de l’anti-décisionnisme et de la compassion programmée, la candidate socialiste a poussé jusqu’à la caricature un discours social de dame patronnesse, sans jamais faire vraiment apparaître le danger de la logique de rentabilité-efficacité appliquée à l’existence quotidienne. La distinction faite naguère par Lionel Jospin entre « économie de marché » et « société de marché » est devenue d’autant plus spécieuse que c’est l’économie qui in-forme aujourd’hui toute la société. Face au déploiement planétaire du capital, toute la gauche est devenue réformiste : à la loi du profit, elle n’oppose que des jérémiades, des correctifs et des aménagements. Mais il y a longtemps, de toute façon, que la gauche classique ne considère plus le monde social que comme un « électorat », simple addition d’individus isolés dont on sollicite les suffrages sans jamais se soucier de leur proposer un véritable projet collectif.
Cet affaiblissement de la gauche est d’autant plus frappant que les évolutions socio-économiques (persistance du chômage, accroissement des inégalités, précarité, exclusion) sont plus porteuses d’inquiétudes que jamais. L’une des raisons de ce paradoxe est que la demande d’ordre et de sécurité n’est plus vécue comme opposée aux droits sociaux, mais comme l’une des conditions de leur mise en œuvre (une partie des classes populaires a voté pour Sarkozy, non parce qu’elle approuvait son programme économique, mais au contraire parce qu’elle comptait sur lui pour sauvegarder les acquis sociaux). En fait, loin de s’orienter vers une vie politique plus consensuelle, la société française est aujourd’hui en cours de radicalisation.
A l’exception d’Olivier Besancenot, aucun candidat de la « gauche de la gauche » n’a recueilli le 22 avril plus de 2 % des voix. Avec seulement 9 % des suffrages au premier tour (contre 13,8 % en 2002), soit son score le plus bas depuis un quart de siècle, la gauche radicale n’a pu capitaliser le « non de gauche » qui s’était exprimé au référendum sur le projet de traité constitutionnel européen. Les organisations qui la composent ont été incapables de se mettre d’accord sur la base d’un programme anticapitaliste conséquent, d’un projet politique fédérateur ou d’une candidature unique. La campagne d’Arlette Laguiller, plus routinière encore qu’à l’habitude, celle d’Olivier Besancenot, plus dynamique, celle de José Bové, tardive et improvisée, celle de Marie-Georges Buffet enfin, obnubilée par la nécessité de préserver ses liens privilégiés avec le PS pour sauver ses élus, ne leur ont pas permis de percer.
Il est à remarquer que ces candidats d’extrême gauche, s’affirmant «antilibéraux» pour n’avoir pas à se dire anticapitalistes, ont eux-mêmes tenu un langage beaucoup plus protestataire que révolutionnaire, en se concentrant sur des objectifs sociétaux n’impliquant aucune rupture avec le capitalisme. Renonçant à jouer un rôle dans la lutte des classes, ils ont développé un discours compassionnel politiquement correct, en se contentant d’accompagner les évolutions sociétales d’une critique purement moraliste. Faute de proposer une alternative crédible, leur discours a été assimilé à un constat d’impuissance. Quant aux Verts, déjà devenus la roue de secours du productivisme socialiste, puis privés de leur raison d’être en raison de la signature par les autres partis du Pacte écologique de Nicolas Hulot, ils ont achevé de se discréditer en choisissant, plutôt que de militer vraiment pour l’écologie – et alors même que la préoccupation écologique n’a jamais été aussi présente dans l’opinion (la « lepénisation des esprits » n’a pas profité à Le Pen, l’« écologisation des esprits » a été fatale aux Verts) –, de défendre des thèmes sociétaux libertaires et « bo-bo » (mariage gay, défense des minorités, dépénalisation des drogues douces, aide aux sans-papiers, etc.) dont le peuple se contrefiche royalement quand il n’y est pas résolument hostile.
La gauche radicale n’a visiblement plus rien d’autre à proposer aux travailleurs que de s’engager dans des «luttes» leur permettant de mieux s’intégrer dans la société de marché et de « conquérir » des moyens plus importants de consommer. Révélateur est le fait qu’au cours de la campagne, même à l’extrême gauche, l’entreprise a été surtout représentée comme un lieu, non pas de luttes, mais de création d’emplois. La « souffrance » étant devenue une catégorie-clef de la perception sociopolitique, le discours sur les « victimes » a remplacé celui sur les classes sociales. Ce « patchwork de moralisme et de secourisme » (Régis Debray), où Jaurès et Lénine ont été remplacés par les compagnons d’Emmaüs et les enfants de Don Quichotte, ce discours philanthropique en faveur des « victimes » et des souffrants n’est qu’un succédané radicalisé de christianisme social, pas un programme politique. La seule redistribution de la richesse et l’interdiction des licenciements ne peuvent pas servir de substituts à une politique macro-économique d’intérêt général. La gauche radicale a oublié que la question de la justice sociale est une question économique et politique avant d’être une question morale.
Cette évolution illustre très bien le chassé-croisé gauche-droite décrit par Marcel Gauchet: «La gauche, qui était matérialiste, devient idéaliste et se réclame des “valeurs”, alors que la droite, qui se voulait morale et religieuse, ne jure plus que par l’économie […] Les repères traditionnels ne marchent plus. La droite, ce n’est plus la nation et la tradition. La gauche, ce n’est plus la révolution. Au fond, la gauche a gagné culturellement. En termes de valeurs, la droite est devenue de gauche. Mais, simultanément, la gauche a totalement perdu sur le plan des solutions […] La gauche incarne des valeurs de l’esprit face au règne de l’argent. La faiblesse de la droite est d’être devenue cynique. Celle de la gauche, d’être terriblement angélique » (Le Nouvel Observateur, 3 mai 2007). Pour le dire autrement, la droite s’est convertie au libéralisme, tandis que la gauche, n’ayant plus de modèle à proposer, se contente d’adopter une posture morale qui ne parvient pas à se convertir en projet politique cohérent.
Ceux qui pensent que la venue de Sarkozy est une bonne chose, car ceux qui l’ont élu seront très vite déçus, vont un peu vite en besogne. C’est apparemment le cas du FN, dont certains dirigeants misent sur l’usure du pouvoir tout en se félicitant de conserver, grâce à l’élection du leader de l’UMP, une sorte de monopole de l’opposition de droite. Attitude imprudente, assez proche de cette politique du pire à laquelle adhèrent ceux qui, faute de pouvoir influer sur le cours des choses, se consolent en se disant qu’après le pire ne peut venir que le meilleur. Après 1981, le PC misait lui aussi sur la déception des électeurs du PS, mais c’est son déclin qui a suivi. Certes, il y aura des déçus du sarkozysme – qui devraient se recruter principalement dans les classes populaires. Mais Sarkozy ne décevra pas tout le monde, et ne décevra pas sur tous les plans. Son projet de « remise en ordre », même s’il a été conçu avec une absence totale de principes, possède une cohérence indéniable, et l’on ne voit pas pourquoi il renoncerait à une stratégie politique que Chirac s’était refusé à mettre en œuvre, mais qui s’est révélée une excellente machine à gagner. La plus grande erreur serait de croire que la désillusion profitera mécaniquement à ceux qui l’avaient prévue. Un mouvement de contestation ne peut bénéficier d’un effet de déception que s’il apparaît comme une force de proposition crédible, possédant les moyens de faire par lui-même ce que les autres n’ont pas fait. Pour l’heure, Nicolas Sarkozy contrôle presque tous les centres de pouvoir. La périphérie est en crise ou inorganisée.

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