quinta-feira, agosto 28, 2008
CHARLES MAURRAS, por Alain de Benoist
Este texto foi publicado originalmente na revista La Nef, em 2003. Constitui uma avaliação cítica de Charles Maurras só ao alcance de um espírito enciclopédico como o de Alain de Benoist.
La Nef m'a demandé de tenir en quelque sorte un rôle de contre-chant en évoquant quelques unes des limites de la pensée maurrassienne. Je m'y risque volontiers, tout en n'ignorant pas que ce genre d'exercice a les plus grandes chances de mécontenter tout le monde : les maurrassiens, qui considèrent, avec les yeux de la dévotion, l'oeuvre de leur maître comme indépassable, et les anti-maurassiens qui ne manqueront pas, bien entendu, de trouver la critique encore insuffisante.
Allons d'emblée à l'essentiel. Maurras s'est avant tout voulu le théoricien de la monarchie, qu'il assimile à tort à une grande « famille » et dont il croit pouvoir démontrer la nécessité comme on démontre un théorème. L'institution monarchique, dont il n'est pas question de nier les mérites, représente-t-elle cependant la meilleure façon de faire face aux problèmes politiques de ce temps ? Le spectacle des monarchies actuelles conduit à en douter. Celles qui existent encore en Europe ne sont que des démocraties (libérales) couronnées. Et surtout l'état général de la société est aujourd'hui le même dans tous les pays occidentaux, qu'ils soient des républiques ou des monarchies. Ce seul fait conduit à penser que Maurras à surestimé les pouvoirs de l'institution. Au lieu de réfléchir sur les conditions de formation du lien social, sur la pluralité des facteurs à l'oeuvre dans toute dynamique sociale, il a cru que l'essentiel des problèmes pouvait et devait se régler d'en haut. Ce n'est plus le cas.
Certes, Maurras dit aussi qu'il ne veut pas d'une monarchie parlementaire.
Mais alors que reste-t-il ? Une monarchie de droit divin ? On en connaît les conditions. Mais qui peut sérieusement croire qu'on puisse ramener l'humanité occidentale à un régime d'hétéronomie dont, pour le pire et le meilleur, elle est aujourd'hui sortie ?
A partir de là, Maurras se livre à une représentation toute manichéenne.
Idéalisant l'Ancien Régime, il ne voit pas comment la monarchie française, désireuse de liquider l'ancien ordre féodal, a constamment promu la bourgeoisie au détriment de l'aristocratie, comment elle a contribué à mettre en place un vaste marché qui a consacré l'ascension de cette bourgeoisie, ni comment elle s'est employée à mettre en oeuvre un processus de centralisation politique et de rationalisation administrative que la Révolution, ainsi que l'a montré Tocqueville, a seulement accélérée et aggravée.
Parallèlement, il fait l'éloge dithyrambique des rois de France tout en tonnant contre la « barbarie allemande », oubliant que les dynasties mérovingienne, carolingienne et capétienne étaient toutes d'origine germanique et que le nom même de la France lui vient d'un conquérant germain.
Sa référence au nationalisme n'est pas moins paradoxale. C'est en effet avec la Révolution que la nation prend un sens politique : le cri de « Vive la nation ! » est à l'origine un cri de guerre contre le roi. C'est d'ailleurs pourquoi les premiers contre-révolutionnaires, comme l'abbé Barruel, stigmatisaient le « nationalisme » des révolutionnaires jacobins. En France, le nationalisme ne se formule comme doctrine « de droite » qu'au moment de l'affaire Dreyfus.
Quand Barrès évoque « la querelle des nationalistes et des cosmopolites » (Le Figaro, 4 juillet 1892), lui-même ne se range pas encore parmi les premiers, bien au contraire.
Maurras renverse cette représentation en soutenant que la Révolution fut antinationale et d'inspiration « étrangère » : « La Révolution, écrit-il, procède d'un effort de l'Etranger et de ses suppôts ». Se greffe sur cette affirmation suprenante toute une construction intellectuelle où, sur la base d'un classicisme hautement revendiqué, la Révolution, qui n'a pourtant cessé de se réclamer de l'exemple de Rome et de Sparte, est réduite à « l'oeuvre de la Réforme », tandis que le romantisme serait la « suite » naturelle de la Révolution. Maurras en voit la preuve dans l'influence « étrangère » de Rousseau, alors que l'auteur du Contrat social, critique impitoyable de la philosophie des Lumières dont se réclamaient aussi les hommes de 1789, et bien conscient de la contradiction entre les droits de l'homme et ceux du citoyen — il n'identifie pas la volonté générale et la volonté de tous —, n'hésite pas à écrire : « Le citoyen a la passion de sa patrie, l'homme celle de l'humanité et les deux passions sont incompatibles [...] Tout patriote est dur aux étrangers : ils ne sont qu'hommes, ils ne sont rien à leurs yeux. Cet inconvénient est inévitable, mais il est faible. L'essentiel est d'être bon aux gens avec qui l'on vit ».
Quant au romantisme, Maurras ne veut en connaître que des figures littéraires françaises, sélectionnées d'ailleurs pour les besoins de la démonstration (Lamartine et Musset plus qu'Alfred de Vigny). Il en place l'origine dans une Allemagne qu'il déteste — les Allemands, dit-il froidement, ne sont jamais que des « candidats à l'humanité » — d'autant plus aisément qu'il n'en connaît strictement rien. Que la pensée politique du romantisme allemand, d'inspiration le plus souvent catholique, ait été, avec Adam Müller ou Joseph Görres, pour ne citer qu'eux, le principal terrain où a pu germer outre-Rhin la critique de la modernité libérale ne lui pose visiblement pas de problème.
Il est vrai qu'alors même qu'il fait l'apologie de l'« universalité », il se garde d'affirmer la valeur générale de ses propres principes. A la limite, seule la France mérite selon lui d'être placée en monarchie, tout pays concurrent méritant plutôt d'être « mis en démocratie » pour s’en retrouver affaibli.
Maurras, en 1909, se flatte de n'être pas patriote « en faveur de la patrie des autres ». Qu'en est-il alors de la vérité politique ? De la « politique naturelle » et même de la nature humaine ?
Sa dénonciation du morbus democraticus, de la démocratie comme simple loi du nombre, reprend un refrain connu mais peu convaincant. Les théoriciens de la démocratie n'ont jamais prétendu que la vérité pouvait se mettre aux voix.
La justification qu'ils avancent est d'une autre nature. « Un état de civilisation où les hommes, en tant même que personnes individuelles, désignent par un libre choix les détenteurs de l'autorité, et où la nation contrôle l'Etat, est de soi un état plus parfait, écrit Jacques Maritain. Car s'il est vrai que l'autorité politique a pour fonction essentielle de diriger des hommes libres vers le bien
commun, il est normal que ces hommes libres choisissent eux-mêmes ceux qui ont la fonction de les diriger ».
La même obsession antidémocratique, qui l'amène jusqu'à louer un communisme dictatorial — « Otez la démocratie, un communisme non égalitaire peut prendre des développements utiles » (Mes idées politiques) — conduit aussi Maurras à énoncer que « l'anarchisme est la forme logique de la démocratie », ce qui aurait beaucoup étonné Aristote ou Périclès.
Enfin, il pose à tort la démocratie et le libéralisme comme des termes interchangeables. A propos des « divagations de démocratie libérale », il écrit aussi : « Tout ce que l'on bombycine en leur honneur ne fera jamais qu'il soit au pouvoir du petit homme d'élire son papa et sa maman [...] Ce point-là règle tout ». Hélas ! ce point-là ne règle rien, à commencer par la question de savoir ce qu'il doit en être quand le « petit homme » est devenu grand.
On pourrait pointer bien d'autres choses. A commencer par le célèbre « politique d'abord », mot d'ordre si souvent mal compris, puisque Maurras souligne à maintes reprises qu'il doit être pris dans une acception strictement chronologique, tandis que dans l'ordre des fins c'est l'économie qui doit se voir attribuer la place la plus haute. L'économie, écrit Maurras, « est plus importante que la politique. Elle doit donc venir après la politique, comme la fin vient après le moyen ». N'est-ce pas là très précisément ce qu'énonce la théorie libérale ? Et que dire d'un auteur qui voit à juste titre dans la guerre civile « la plus atroce de toutes », mais qui, en même temps, et souvent dans des termes d'une violence extraordinaire, ne cesse de dénoncer une « anti-France » intérieure ?
Ses disciples souverainistes, enfin, me paraissent avoir oublié qu'il écrit aussi, toujours dans Mes idées politiques : « Ni implicitement, ni explicitement, nous n'acceptons le principe de la souveraineté nationale, puisque c'est, au contraire, à ce principe-là que nous avons opposé le principe de la souveraineté du salut public, ou du bien public, ou du bien général ».
L'historien des idées se trouve en fin de compte assez embarrassé pour attribuer à Maurras la place qui lui revient. D'un côté, il y occupe de toute évidence une place éminente, dont témoignent à la fois le rôle considérable qui fut le sien et l'influence durable qu'il a exercée. Mieux encore, Maurras constitue l'un des très rares exemples d'un homme qui a su être à la fois un penseur, un chef d'école et l'animateur d'un mouvement politique qui a profondément marqué son temps. En même temps, osons le dire, il n'est pas un très grand théoricien politique, un théoricien comme ont pu l'être Machiavel, Hobbes, Rousseau, Tocqueville ou Marx. En philosophie pure, en sociologie pure, en économie pure, ses connaissances sont souvent défaillantes. Ce qu'il y a de meilleur chez lui, la critique du contractualisme, du parlementarisme et de l'individualisme libéral, a été formulé de façon beaucoup plus rigoureuse par quantité d'autres auteurs.
Interrogé en 1909 sur le meilleur moyen d’éveiller et de cultiver chez les enfants l’amour de la patrie, il répond : « En leur faisant apprendre beaucoup de vers de La Fontaine ». A bien des égards, Maurras reste avant tout un littéraire et un homme de la fin du XIXe siècle. Il est fondamentalement un écrivain — et un écrivain qui compte : ses poèmes surtout sont admirables.
Cela n'enlève évidemment rien à ses qualités ni, répétons-le, à son importance, qu'on a trop souvent sous-évaluée. Au-delà de ses erreurs et de ses jugements parfois si injustes, son courage, son désintéressement, son exigeante passion, sa sincérité extrême, sa ténacité et la somme incroyable d'efforts qu'il a su déployer au cours de sa vie, commandent le respect. Il y a chez Maurras quelque chose de très proprement, de très exactement héroïque.
Il n'y a pas beaucoup d'hommes publics dont on puisse en dire autant.
La Nef m'a demandé de tenir en quelque sorte un rôle de contre-chant en évoquant quelques unes des limites de la pensée maurrassienne. Je m'y risque volontiers, tout en n'ignorant pas que ce genre d'exercice a les plus grandes chances de mécontenter tout le monde : les maurrassiens, qui considèrent, avec les yeux de la dévotion, l'oeuvre de leur maître comme indépassable, et les anti-maurassiens qui ne manqueront pas, bien entendu, de trouver la critique encore insuffisante.
Allons d'emblée à l'essentiel. Maurras s'est avant tout voulu le théoricien de la monarchie, qu'il assimile à tort à une grande « famille » et dont il croit pouvoir démontrer la nécessité comme on démontre un théorème. L'institution monarchique, dont il n'est pas question de nier les mérites, représente-t-elle cependant la meilleure façon de faire face aux problèmes politiques de ce temps ? Le spectacle des monarchies actuelles conduit à en douter. Celles qui existent encore en Europe ne sont que des démocraties (libérales) couronnées. Et surtout l'état général de la société est aujourd'hui le même dans tous les pays occidentaux, qu'ils soient des républiques ou des monarchies. Ce seul fait conduit à penser que Maurras à surestimé les pouvoirs de l'institution. Au lieu de réfléchir sur les conditions de formation du lien social, sur la pluralité des facteurs à l'oeuvre dans toute dynamique sociale, il a cru que l'essentiel des problèmes pouvait et devait se régler d'en haut. Ce n'est plus le cas.
Certes, Maurras dit aussi qu'il ne veut pas d'une monarchie parlementaire.
Mais alors que reste-t-il ? Une monarchie de droit divin ? On en connaît les conditions. Mais qui peut sérieusement croire qu'on puisse ramener l'humanité occidentale à un régime d'hétéronomie dont, pour le pire et le meilleur, elle est aujourd'hui sortie ?
A partir de là, Maurras se livre à une représentation toute manichéenne.
Idéalisant l'Ancien Régime, il ne voit pas comment la monarchie française, désireuse de liquider l'ancien ordre féodal, a constamment promu la bourgeoisie au détriment de l'aristocratie, comment elle a contribué à mettre en place un vaste marché qui a consacré l'ascension de cette bourgeoisie, ni comment elle s'est employée à mettre en oeuvre un processus de centralisation politique et de rationalisation administrative que la Révolution, ainsi que l'a montré Tocqueville, a seulement accélérée et aggravée.
Parallèlement, il fait l'éloge dithyrambique des rois de France tout en tonnant contre la « barbarie allemande », oubliant que les dynasties mérovingienne, carolingienne et capétienne étaient toutes d'origine germanique et que le nom même de la France lui vient d'un conquérant germain.
Sa référence au nationalisme n'est pas moins paradoxale. C'est en effet avec la Révolution que la nation prend un sens politique : le cri de « Vive la nation ! » est à l'origine un cri de guerre contre le roi. C'est d'ailleurs pourquoi les premiers contre-révolutionnaires, comme l'abbé Barruel, stigmatisaient le « nationalisme » des révolutionnaires jacobins. En France, le nationalisme ne se formule comme doctrine « de droite » qu'au moment de l'affaire Dreyfus.
Quand Barrès évoque « la querelle des nationalistes et des cosmopolites » (Le Figaro, 4 juillet 1892), lui-même ne se range pas encore parmi les premiers, bien au contraire.
Maurras renverse cette représentation en soutenant que la Révolution fut antinationale et d'inspiration « étrangère » : « La Révolution, écrit-il, procède d'un effort de l'Etranger et de ses suppôts ». Se greffe sur cette affirmation suprenante toute une construction intellectuelle où, sur la base d'un classicisme hautement revendiqué, la Révolution, qui n'a pourtant cessé de se réclamer de l'exemple de Rome et de Sparte, est réduite à « l'oeuvre de la Réforme », tandis que le romantisme serait la « suite » naturelle de la Révolution. Maurras en voit la preuve dans l'influence « étrangère » de Rousseau, alors que l'auteur du Contrat social, critique impitoyable de la philosophie des Lumières dont se réclamaient aussi les hommes de 1789, et bien conscient de la contradiction entre les droits de l'homme et ceux du citoyen — il n'identifie pas la volonté générale et la volonté de tous —, n'hésite pas à écrire : « Le citoyen a la passion de sa patrie, l'homme celle de l'humanité et les deux passions sont incompatibles [...] Tout patriote est dur aux étrangers : ils ne sont qu'hommes, ils ne sont rien à leurs yeux. Cet inconvénient est inévitable, mais il est faible. L'essentiel est d'être bon aux gens avec qui l'on vit ».
Quant au romantisme, Maurras ne veut en connaître que des figures littéraires françaises, sélectionnées d'ailleurs pour les besoins de la démonstration (Lamartine et Musset plus qu'Alfred de Vigny). Il en place l'origine dans une Allemagne qu'il déteste — les Allemands, dit-il froidement, ne sont jamais que des « candidats à l'humanité » — d'autant plus aisément qu'il n'en connaît strictement rien. Que la pensée politique du romantisme allemand, d'inspiration le plus souvent catholique, ait été, avec Adam Müller ou Joseph Görres, pour ne citer qu'eux, le principal terrain où a pu germer outre-Rhin la critique de la modernité libérale ne lui pose visiblement pas de problème.
Il est vrai qu'alors même qu'il fait l'apologie de l'« universalité », il se garde d'affirmer la valeur générale de ses propres principes. A la limite, seule la France mérite selon lui d'être placée en monarchie, tout pays concurrent méritant plutôt d'être « mis en démocratie » pour s’en retrouver affaibli.
Maurras, en 1909, se flatte de n'être pas patriote « en faveur de la patrie des autres ». Qu'en est-il alors de la vérité politique ? De la « politique naturelle » et même de la nature humaine ?
Sa dénonciation du morbus democraticus, de la démocratie comme simple loi du nombre, reprend un refrain connu mais peu convaincant. Les théoriciens de la démocratie n'ont jamais prétendu que la vérité pouvait se mettre aux voix.
La justification qu'ils avancent est d'une autre nature. « Un état de civilisation où les hommes, en tant même que personnes individuelles, désignent par un libre choix les détenteurs de l'autorité, et où la nation contrôle l'Etat, est de soi un état plus parfait, écrit Jacques Maritain. Car s'il est vrai que l'autorité politique a pour fonction essentielle de diriger des hommes libres vers le bien
commun, il est normal que ces hommes libres choisissent eux-mêmes ceux qui ont la fonction de les diriger ».
La même obsession antidémocratique, qui l'amène jusqu'à louer un communisme dictatorial — « Otez la démocratie, un communisme non égalitaire peut prendre des développements utiles » (Mes idées politiques) — conduit aussi Maurras à énoncer que « l'anarchisme est la forme logique de la démocratie », ce qui aurait beaucoup étonné Aristote ou Périclès.
Enfin, il pose à tort la démocratie et le libéralisme comme des termes interchangeables. A propos des « divagations de démocratie libérale », il écrit aussi : « Tout ce que l'on bombycine en leur honneur ne fera jamais qu'il soit au pouvoir du petit homme d'élire son papa et sa maman [...] Ce point-là règle tout ». Hélas ! ce point-là ne règle rien, à commencer par la question de savoir ce qu'il doit en être quand le « petit homme » est devenu grand.
On pourrait pointer bien d'autres choses. A commencer par le célèbre « politique d'abord », mot d'ordre si souvent mal compris, puisque Maurras souligne à maintes reprises qu'il doit être pris dans une acception strictement chronologique, tandis que dans l'ordre des fins c'est l'économie qui doit se voir attribuer la place la plus haute. L'économie, écrit Maurras, « est plus importante que la politique. Elle doit donc venir après la politique, comme la fin vient après le moyen ». N'est-ce pas là très précisément ce qu'énonce la théorie libérale ? Et que dire d'un auteur qui voit à juste titre dans la guerre civile « la plus atroce de toutes », mais qui, en même temps, et souvent dans des termes d'une violence extraordinaire, ne cesse de dénoncer une « anti-France » intérieure ?
Ses disciples souverainistes, enfin, me paraissent avoir oublié qu'il écrit aussi, toujours dans Mes idées politiques : « Ni implicitement, ni explicitement, nous n'acceptons le principe de la souveraineté nationale, puisque c'est, au contraire, à ce principe-là que nous avons opposé le principe de la souveraineté du salut public, ou du bien public, ou du bien général ».
L'historien des idées se trouve en fin de compte assez embarrassé pour attribuer à Maurras la place qui lui revient. D'un côté, il y occupe de toute évidence une place éminente, dont témoignent à la fois le rôle considérable qui fut le sien et l'influence durable qu'il a exercée. Mieux encore, Maurras constitue l'un des très rares exemples d'un homme qui a su être à la fois un penseur, un chef d'école et l'animateur d'un mouvement politique qui a profondément marqué son temps. En même temps, osons le dire, il n'est pas un très grand théoricien politique, un théoricien comme ont pu l'être Machiavel, Hobbes, Rousseau, Tocqueville ou Marx. En philosophie pure, en sociologie pure, en économie pure, ses connaissances sont souvent défaillantes. Ce qu'il y a de meilleur chez lui, la critique du contractualisme, du parlementarisme et de l'individualisme libéral, a été formulé de façon beaucoup plus rigoureuse par quantité d'autres auteurs.
Interrogé en 1909 sur le meilleur moyen d’éveiller et de cultiver chez les enfants l’amour de la patrie, il répond : « En leur faisant apprendre beaucoup de vers de La Fontaine ». A bien des égards, Maurras reste avant tout un littéraire et un homme de la fin du XIXe siècle. Il est fondamentalement un écrivain — et un écrivain qui compte : ses poèmes surtout sont admirables.
Cela n'enlève évidemment rien à ses qualités ni, répétons-le, à son importance, qu'on a trop souvent sous-évaluée. Au-delà de ses erreurs et de ses jugements parfois si injustes, son courage, son désintéressement, son exigeante passion, sa sincérité extrême, sa ténacité et la somme incroyable d'efforts qu'il a su déployer au cours de sa vie, commandent le respect. Il y a chez Maurras quelque chose de très proprement, de très exactement héroïque.
Il n'y a pas beaucoup d'hommes publics dont on puisse en dire autant.
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